La grande trilogie de la vie: l'eau 3

Publié le par ,,,Instantanés sourires

triskell

  Où l’on apprend que la fièvre du dimanche soir peut  faire aimer l’école

 

  Dans la chambre, aux rideaux tirés, Léon est allongé, vêtu d’un pyjama en grosse cotonnade et d’un bonnet vissé sur la tête. Un édredon confortable garnit le lit. Pourtant il a froid. « C’est de ta faute, Maman, fallait pas m’emmener à la procession ! » La mère ne dit rien. Elle se contente de compter : huit, neuf, dix. Elle repose son compte-gouttes et tend le verre à Léon. « J’aime pas, c’est très amer ! ». « Bois, et tu seras guéri. »

Léon, dans sa fièvre pense « j’ai déjà entendu quelque chose du même genre. Bois, ceci est mon sang, bois et tu seras sauvé. S’il suffisait de boire pour être sauvé, ça se saurait ». « Tiens ceci est mon corps », dit sa mère en tendant une bouillotte pleine d’eau bien chaude. Ca, la bouillotte, il aime bien, Léon. Il se chauffe les pieds, puis la ramène sur le ventre, la serre entre ses jambes, l’amène contre ses reins. Doucement la chaleur gagne le lit, et il s’endort.

Dans son sommeil agité et trempé de sueur, Léon voit Mlle Petitjean, l’institutrice, qui leur avait parlé la semaine dernière de Baudelaire, de Rimbaud, de Verlaine, de tous ces grands poètes, interdits par la sacristie. Tous ces poètes qui parlent de chair, de sang, d’odeurs, d’amours interdites, d’alcools. Ils ont tous bu, eux. Et tous ensembles dans leur bateau ivre, ils vont de port en port, de phare en jetée, d’île en atoll, de vers en strophes. Malgré les tempêtes, ils doivent être sauvés, puisqu’ils ont bu. Alors Mlle Petitjean, comme une improbable figure de proue, se tient à l’avant du navire, et jette au creux des vagues une bouée salvatrice. Léon s’y accroche, et au matin, épuisé, émerge de son rêve, comme une épave rejetée par les flots, sur la grève.

 

  eau 3

 

 

...à suivre.

 

 

 

 

 

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